L’article 24 de la loi de finances pour 1999[1] a institué l’imposition immédiate des plus-values de cession ou d’échanges de titres en report d’imposition, ainsi que, sous certaines conditions, l’imposition des plus-values latentes constatées sur des participations substantielles (participations supérieures à 25%), lorsque à compter du 9 septembre 1998, le contribuable transfère son domicile fiscal hors de France. Nous n’envisagerons le cas que de l’imposition des plus-values latentes dite Exit Tax. L’idée de base qui réside à l’existence de cette réglementation est relativement simple : le contribuable qui se délocalise à l’étranger doit apurer sa situation fiscale en France. Il s’agit donc d’une « taxe à la sortie » du territoire français. Toutefois, grâce à un mécanisme de sursis prévu à l’article 167 bis II, le paiement du montant de l’impôt peut être différé jusqu’au moment où s’opérera la transmission, le rachat, le remboursement ou l’annulation des droits sociaux concernés. Si on combine les dispositions relatives à l’imposition avec celles qui prévoient un sursis de paiement, le dispositif de l’article 167 bis constitue une taxation de certaines plus-values mobilières réalisées, dans les cinq années suivant son départ de France, par un contribuable expatrié. L’originalité de ce dispositif a été contestée pour ces risques dévastateurs. En effet, seront visés essentiellement les jeunes créateurs d’entreprises qui seront tentés de s’exiler vers le Royaume Uni pour éviter la taxation des plus-values. En pratique, un jeune ingénieur détenant 25% des actions d’une PME innovante et partant à l’étranger, pour des raisons professionnelles, peut, paradoxalement être conduit à acquitter un impôt sur des plus-values virtuelles, non encore encaissées. Est-ce bien raisonnable ?
Le dispositif précédemment exposé a suscité de vives réactions si bien qu’une question s’est posée au Conseil d’Etat dans l’affaire Lasteyrie de Saillant[2]. Le requérant s’était établi en Belgique le 12 décembre 1998 pour y exercer ses activités professionnelles. Disposant de participations substantielles dans différentes sociétés françaises, il était donc susceptible de se voir appliquer l’imposition prévue à l’article 167 bis du Code général des impôts. Estimant que cette obligation était contraire à son droit de s’établir dans un autre état de la Communauté, le requérant a formé devant le Conseil d’Etat un recours en annulation du décret n°99-590 du 6 juillet 1999 pris pour l’application des dispositions légales précitées. Le Conseil d’Etat a examiné le moyen selon lequel ce dispositif était contraire à la liberté d’établissement dans la mesure où une législation nationale peut être contraire à l’article 52 du Traité, devenu l’article 43 CE, si elle a pour effet d’entraver l’exercice de la liberté d’établissement par les ressortissants de l’Etat membre concerné, même de façon indirecte. Le conseil d’Etat, eu égard aux incertitudes, au niveau communautaire, que suscite la question posée, a décidé qu’il serait « sursis à statuer sur la requête de M. de Lasteyrie du Saillant jusqu’à ce que la Cour de justice des Communautés européennes se soit prononcée sur la question préjudicielle énoncée dans les motifs de la présente décision »[3]. Le Commissaire du Gouvernement, dans ses conclusions rendues dans cette affaire[4], était « à peu près convaincu que les dispositions de l’article 167 bis sont incompatibles avec la liberté d’établissement, telle qu’elle est définie dans la jurisprudence actuelle de la Cour de justice ». Il ne voulait pourtant pas conclure à l’annulation du décret d’application de cet article et préfère soumettre cette question « centrale » à la Cour de justice.
Le Conseil d’Etat, section du contentieux demande à la Cour de justice de statuer sur la question de savoir si le principe de la liberté d’établissement posé par l’article 52 du traité de la Communauté européenne (devenu, après modification, article 43 CE) s’oppose à ce qu’un état membre institue, à des fins de prévention d’un risque d’évasion fiscale, un mécanisme d’imposition des plus-values en cas de transfert du domicile fiscal, tel que celui résultant de l’article 167 bis du Code général des impôts dans sa rédaction en vigueur. Différentes raisons ont conduit le Conseil d’Etat a saisir la Cour de justice des Communautés européennes d’une demande de décision à titre préjudiciel. Tout d’abord, l’hypothèse présentée à la Cour était nouvelle car la Cour n’avait jamais eu à connaître d’un mécanisme d’imposition spécial des contribuables transférant leur domicile à l’étranger, et n’a pas non p ;lus eu à traiter d’un cas similaire. Ensuite, ce dispositif existant de manière analogue dans d’autres Etats membres, il apparaissait plus prudent de laisser la décision à une juridiction européenne d’autant plus qu’aucun de ces Etats n’avait fait l’objet d’un recours en manquement de la Commission. Enfin, l’enjeu de la question soumise à la Cour était de savoir si on devait privilégier l’harmonisation fiscale ou la lutte contre l’évasion fiscale. Cette question ne pouvait se résoudre seulement au niveau national et devait être présentée pour être légitimer devant une instance supérieur. Outre le dépassement du cadre national, se posait également la question de la limitation de la souveraineté fiscale des Etats membres.
La Cour de justice des Communautés européennes vient de prendre position sur la compatibilité du dispositif français avec le droit communautaire. Elle a donc décidé que : « Le principe de liberté d’établissement posé par l’article 52 du Traité CE, devenu article 43 CE, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un Etat membre institue, à des fins de prévention d’un risque d’évasion fiscale, un mécanisme d’imposition des plus-values non encore réalisées, tel que celui prévu à l’article 167 bis du Code général des Impôts français, en cas de transfert du domicile fiscal d’un contribuable hors de cet Etat »[5]. Elle semble respecter la position de l’Avocat général, M. Jean Mischo, qui avait conclu et proposé la réponse suivante : « L’article 52 du Traité, devenu article 43 CE, s’oppose à une législation nationale telle que celle en cause au principal qui prévoit, à la charge de tous les contribuables qui transfèrent leur domicile fiscal dans un autre Etat membre, un mécanisme d’imposition immédiat des plus-values non encore réalisées »[6]. L’un des objectifs du Traité de 1957 était de réaliser l’abolition entre les Etats membres, des obstacles à la libre circulation des personnes, des services et des capitaux, objectif réaffirmé dans l’article 7-A du Traité CE. Cet objectif trouve sa concrétisation dans l’article 52 du Traité CE, devenu article 43 du Traité CE, qui dispose que « les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un Etat membre dans le territoire d’un autre Etat membre sont interdites » et que « la liberté d’établissement comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises ». Cet article constitue, depuis fort longtemps, pour la Cour, l’une des dispositions fondamentales de la Communauté directement applicable dans chacun des Etats membres, et elle ne manque pas de le rappeler dans le préambule de cette décision[7]. Comme le rappelle la Cour dans un considérant de principe souvent repris, « si la fiscalité directe relève de la compétence des Etats membres, il n’en reste pas moins que ces derniers doivent l’exercer dans le respect du droit communautaire »[8]. Faisant application de ces principes, la Cour a affirmé avec beaucoup de clarté que ces dispositions « s’opposent également à ce que l’Etat d’origine entrave l’établissement dans un autre Etat membre d’un de ses ressortissants »[9] même si cette restriction est de faible portée ou d’importance mineure.
La Cour, tout comme avait pu le faire l’Avocat général fait une application parfaite des conditions d’atteinte au principe de liberté d’établissement en caractérisant, d’abord, une restriction ou une entrave à cette liberté, et, ensuite, en recherchant les éventuelles justifications à cette restriction.
La caractérisation d’une entrave fiscale
La Cour, ici, une fois de plus considère que cette disposition, tout en n’interdisant pas au contribuable d’exercer son droit d’établissement, restreint l’exercice de ce droit en ayant un effet dissuasif à l’égard des contribuables qui souhaitent s’installer dans un autre Etat membre[10].
Certains gouvernements, lors de la présentation des observations, ont estimé que « les règles françaises n’ont pas pour effet, direct ou indirect, d’empêcher les ressortissants français de s’établir dans un autre Etat membre, et qu’il n’existe aucun indice permettant d’affirmer que l’imposition limite la possibilité pour lesdits ressortissants de s’établir dans un autre Etat membre »[11] et qu’ « il n’y a pas nécessairement perception de l’impôt au moment du transfert du domicile »[12] grâce au mécanisme du sursis de paiement ou du dégrèvement d’office.
Ils semblent alors avoir ignoré une jurisprudence constante[13], selon laquelle « la liberté d’établissement peut être entravée par une mesure nationale qui ne comporterait pas d’interdiction mais serait simplement de nature à dissuader un opérateur de faire usage de cette liberté ». En effet, force est de constater que lesdites dispositions font subir à un contribuable, désireux de quitter le territoire français, de considérables désavantages par rapport à une personne qui continuerait à résider en France. Le fait générateur de l’impôt est alors déterminé par le transfert du domicile fiscal hors de France et non par la cession des titres concernés. Il y donc bien différence de traitement discriminatoire dans la mesure où le contribuable qui quitte la France est pénalisé par rapport à celui qui y reste. On pourrait presque considérer qu’une telle obligation constitue à elle seule une entrave à la liberté d’établissement. On peut alors qualifier ce dispositif comme générateur de « différence de traitement claire »[14] ou de restriction typique à la sortie du territoire qui ne pourrait être affectée par les modalités dont est assortie l’imposition. En effet, le sursis de paiement n’est pas automatique et, soumis à de nombreuses conditions, est très contraignant pour le contribuable qui se délocalise : les conséquences financières de ces garanties sont très coûteuses, et « le fait que, après cinq ans, le contribuable visé par les dispositions en cause soit en droit de bénéficier d’office du dégrèvement de l’impôt, accompagné du remboursement des frais de constitution de garanties, s’il ne s’est pas défait entre-temps des titres ayant donné lieu à imposition ou s’il revient en France avant le délai de cinq ans, ne suffit pas à faire disparaître l’effet restrictif des dispositions concernées »[15]. Il apparaît très nettement que ces modalités ne sont pas des facilités qui pourrait atténuer le caractère pénalisant du dispositif et peuvent même être considérées, à certain égard, comme sanctionnant un peu plus les contribuables qui décident de quitter le territoire français. En effet, le contribuable ne pourra pas garder la jouissance de son patrimoine s’il affecte en garantie et les titres deviennent indisponibles pour d’autres usages que le propriétaire pourrait vouloir en faire. Sur ce point, la Cour considère que « ces garanties comportent par elle-même un effet restrictif, dans la mesure où elles privent le contribuable de la jouissance du patrimoine donné en garantie »[16].
Sur l’existence de restriction à la liberté d’établissement, l’entrave fiscale et son interdiction n’ont fait aucun doute pour l’Avocat général qui avait conclu, sur ce point, que « les dispositions visées par l’ordonnance de renvoi soumettent les contribuables détenteurs de participations substantielles souhaitant transférer leur domicile fiscal hors de France à des différences de traitement de nature à restreindre la liberté d’établissement que leur reconnaît le Traité. Il y a donc lieu d’examiner si lesdites dispositions sont susceptibles d’une justification qui les ferait échapper à l’interdiction découlant de l’article 43 CE »[17]. La Cour, ayant suivi sa position, est très claire : « la mesure en cause au principal est susceptible d’entraver la liberté d’établissement »[18]. Elle poursuit en admettant qu’une mesure ne peut entraver la liberté d’établissement que « si elle poursuit un objectif légitime compatible avec le Traité et est justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général, (…) et que son application soit propre à garantir la réalisation de l’objectif ainsi poursuivi et n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci »[19]. La Cour semble attacher une importance particulière à la proportionnalité de la mesure caractérisant une entrave.
La possibilité de justifier cette entrave fiscale
Il est possible de justifier une restriction à la liberté d’établissement par une raison impérieuse d’intérêt général. La Cour a réfuté les quatre arguments qui lui ont été exposés, estimant qu’aucun ne pouvait qualifier une raison impérieuse d’intérêt général. Ces arguments sont les suivants.
En premier lieu, certains pensent que l’objectif de la règle nationale est d’empêcher l’érosion nationale de la base d’imposition de l’état membre afin d’éviter que la personne physique retire un avantage trop important des différences entre les régimes fiscaux[20]. L’Avocat général a considéré que cet objectif, étant de nature purement économique, ne peut constituer une raison impérieuse d’intérêt général[21]. Il se réfère alors à une jurisprudence constante de la Cour selon laquelle « une réduction des recettes fiscales ne peut être considérée comme une raison impérieuse d’intérêt général pouvant être invoquée pour justifier d’une inégalité de traitement en principe incompatible avec l’article 43 CE »[22]. En effet, il est inopportun qu’une règle de « protection économique » puisse légitimer une restriction à une liberté fondamentale qui est celle de la liberté d’établissement. La Cour estime que le simple manque à gagner ne saurait en soi justifier une telle restriction[23]. On peut penser que la souveraineté fiscale des Etats membres trouve alors ses limites dans cette liberté peu importent les conséquences d’une concurrence fiscale dommageable entre Etats membres.
En second lieu, sont invoqués les objectifs de lutte contre l’évasion fiscale et l’efficacité des contrôles fiscaux. Le gouvernement français a soutenu que le dispositif litigieux vise à empêcher un abus de droit par l’utilisation frauduleuse par un contribuable des libertés découlant pour lui du droit communautaire. Il rappelle qu’en vertu du principe de la souveraineté fiscale, chaque Etat membre est libre de prendre les mesures nécessaires afin d’éviter que l’imposition des plus-values soit privée de sa substance par des comportements abusifs. Il a souligné que l’application de l’article 167 bis du Code général des Impôts est proportionné au but poursuivi, car les sujétions imposées au contribuable sont limitées dans le temps (l’imposition établie est susceptible de devenir qu’à l’intérieur d’un délai de cinq ans suivant la date de l’expatriation). En effet, la jurisprudence ICI a reconnu le caractère d’exigence impérieuse, de nature à justifier une restriction, à la nécessité d’assurer l’efficacité des contrôles fiscaux[24] et de lutter contre l’évasion fiscale[25]. Mais sur ce deuxième point, seule est susceptible d’être justifiée une législation qui aurait pour objet spécifique d’exclure d’un avantage fiscal les montages purement artificiels dont le but serait de contourner la loi fiscale. La Cour fait application de la jurisprudence en rappelant que « l’article 167 bis du Code général des Impôts n’a pas pour objet spécifique d’exclure d’un avantage fiscal les montages purement artificiels dont le but serait de contourner la législation fiscale française, mais vise, de manière générale, toute situation dans laquelle un contribuable (…) transfère, pour quelque raison que ce soit, son domicile hors de France »[26]. Dans cette affaire, le dispositif litigieux va très au-delà de ces limites jusqu’à créer, comme l’a exposé le requérant, une présomption irréfragable de fraude fiscale dès lors que le contribuable transfère son domicile fiscal hors de France pour quelques raisons que se soient. Ce dispositif est trop systématique et ne tient pas compte des raisons qu’ont pu pousser le contribuable à émigrer à l’étranger. En effet, l’établissement d’un contribuable à l’étranger n’implique pas en soi la fraude fiscale[27], et c’est à l’Administration qu’il devrait revenir de prouver, au cas par cas, qu’il existe un risque d’évasion fiscale. Sans excéder ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif de prévention de l’évasion fiscale, l’article 167 bis du Code général des impôts ne peut présumer l’intention de contourner la loi fiscale française de tout contribuable qui transfère son domicile hors de France[28]. Outre cette présomption irréfragable de fraude fiscale, la règle nationale est disproportionnée par l’existence d’une différence de traitement entre un contribuable qui reste à l’étranger plus de cinq ans sans vendre ses titres et celui, qui tout en restant à l’étranger pour la même durée, vend ses titres avant l’expiration des cinq ans. L’Avocat général a considéré qu’ « un critère constitué par la rapidité du retour en France serait, à priori, plus en rapport avec l’objectif d’empêcher le contribuable d’éluder l’impôt par le simple expédient d’un bref séjour dans un autre Etat membre, durant lequel les titres seraient cédés »[29]. La Cour, suivant les propositions de l’Avocat général, estime que des « mesures moins contraignantes ou moins restrictives, ayant trait spécifiquement au risque d’un tel transfert temporaire »[30] pourraient permettre à la France de lutter raisonnablement contre les délocalisations frauduleuses. La mesure française est donc incontestablement excessive par rapport au but recherché et « il existe des mesures moins restrictives des libertés fondamentales du droit communautaire qui permettrait tant de lutter contre l’évasion fiscale que de préserver l’efficacité des contrôles fiscaux »[31]. La Cour conclut, sur ce point, qu’il découle de tout ce qui précède que la règle nationale en cause ne saurait être justifiée par la lutte contre l’évasion fiscale ou la nécessité de préserver l’efficacité des contrôles fiscaux. Elle estime que l’article 52 du Traité s’oppose à de telles dispositions dans un but non proportionné de prévention de risque d’évasion fiscale.
En troisième lieu, les exigences de la cohérence du système fiscal français sont mises en cause. Cela signifie que la mesure devient nécessaire, lorsque au transfert à l’étranger du domicile fiscal du contribuable, l’imposition ultérieure ne serait plus garantie. La Cour décide qu’ « il ne saurait être soutenu que l’article 167 bis du Code général des Impôts est justifié par la nécessité de préserver la cohérence du système fiscal français »[32].L’Avocat général avait réfuté cette éventuelle justification car « le transfert dans un autre Etat membre du domicile fiscal du contribuable ne signifie pas nécessairement que le recouvrement de l’impôt est compromis »[33]. Le dispositif est, par lui-même, contraire à l’objectif de cohérence fiscale puisque celui-ci reconnaît comme principe, dès lors que des conventions fiscales de prévention de double imposition existent, l’imposition dans l’état de résidence du contribuable. Enfin, dès lors qu’est prévu « un impôt prélevé sur des plus-values latentes et non pas réalisées, la règle litigieuse est une exception à la cohérence du système fiscal en cause et ne saurait être considérée comme nécessaire à celle-ci »[34].
Enfin, en quatrième lieu, l’objectif de répartition du pouvoir entre l’Etat de départ et celui de destination a été mis en avant par le gouvernement allemand pour justifier cette entrave. L’idée était d’imposer des plus-values dans l’Etat de départ du fait qu’elles sont régulièrement nées de l’activité de la société dans l’Etat de départ. Mais les Etats membres, dans l’exercice de leur souveraineté fiscale et leur pouvoir de répartition des impositions, ne peuvent s’affranchir du respect des règles communautaires[35]. En l’espèce, la répartition du pouvoir fiscal entre les Etats membres n’est pas en cause et le litige porte « sur la question de savoir si les mesures adoptées sont conformes aux exigences de la liberté d’établissement »[36].
Il découle des considérations exposées ci-dessus que le dispositif litigieux est constitutif d’une restriction incompatible avec l’article 43 CE et n’est pas susceptible d’être justifié par une raison impérieuse d’intérêt général.
Conclusion
Il est donc permis de penser que le dispositif en cause va bien au-delà de ce que peut autoriser la jurisprudence constante de la Cour. La Cour accorde une place importante au caractère disproportionné, par rapport à l’objectif recherché, et excessif de la disposition en cause. Elle semble en faire les conditions essentielles à une entrave non justifié à la liberté d’établissement.
Cette question préjudicielle a permis à de nombreux Etats ayant pris des mesures comparables de faire valoir leurs observations, ce qu’il n’aurait pas pu faire devant le Conseil d’état. L’intérêt de la décision de la Cour ne se limite donc pas seulement au dispositif français et a vocation à être d’application générale pour tous les Etats membres. En effet, on peut imaginer que soit les Etats concernés modifieront leur législation d’eux-mêmes, soit ces législations feront l’objet de recours en manquement qui les obligeront d’une manière ou d’une autre à changer leur législation. On peut donc penser que cette décision sera sans frontières.
Mais cette décision laisse de nombreuses questions en suspens. Cette législation sera peut être garantie au niveau communautaire mais qu’en sera t-il au delà de la Communauté ? Il semble que le problème aura vocation à se déplacer. L’imposition des plus-values placées en report d’imposition sera-t-elle maintenue puisque seules sont visées dans cette procédure les plus-values latentes affectant les participations substantielles ? Cette décision ne sera pas sans suite, et des problèmes subséquents se poseront à l’issu de cette affaire dans la mesure où les relations fiscales internationales sont largement remises en cause notamment en ce qui concerne la prévention de l’évasion fiscale.
[1] L. n°98-1266, 30 décembre 1998, JO du 31 décembre 1998, p. 20050.
[2] Conseil d’Etat, 14 décembre 2001, précit. .
[3] Conseil d’Etat, 14 décembre 2001, précit. .
[4] Conclusions du commissaire du Gouvernement Guillaume GOULARD, sous CE 14 décembre 2001, bulletin des conclusions fiscales 2/02, n°22, p.29.
[5] CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, précit, point 69..
[6] Conclusions de l’Avocat général, M. Jean MISCHO, 13 mars 2003, aff. C-9/02, Hughes de LASTEYRIE DU SAILLANT c/ Ministère de l’économie, des finances et de l’industrie, point 85.
[7] CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, précit., point 40.
[8] CJCE, 14 février 1995, aff. C-279/93, Schumacher, rec. p. I-225, CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, précit., point 44.
[9] CJCE, 27 septembre 1988, aff. 81/87, Daily Mail, rec. p. 5483 ; et CJCE, 14 juillet 1994, aff. C-379/92, Peralta, rec. p.3487, CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, précit., point 42.
[10] CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, précit., point 45.
[11] Conclusions de l’Avocat général, M. Jean MISCHO, aff. C-9/02, précit., point 22.
[12] Conclusions de l’Avocat général, M. Jean MISCHO, aff. C-9/02, précit., point 23.
[13] CJCE, 13 avril 2000, Baars, aff. C-251/98, rec. p.I-2787.
[14] Conclusions de l’Avocat général, M. Jean MISCHO, aff. C-9/02, précit., point 33.
[15] Conclusions de l’Avocat général, M. Jean MISCHO, aff. C-9/02, précit., point 45.
[16] CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, précit., point 47.
[17] Conclusions de l’Avocat général, M. Jean MISCHO, aff. C-9/02, précit., point 48.
[18] CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, précit., point 48.
[19] CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, précit., point 49.
[20] Objectif reconnu par la Cour comme raison impérieuse dans CJCE du 28 avril 1998, SAFIR, aff. C-118/96, rec. p.I-1897.
[21] Conclusions de l’Avocat général, M. Jean MISCHO, aff. C-9/02, précit., point 51.
[22] CJCE, 16 juillet 1998, ICI, précit. .
[23] CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, précit., point 60.
[24] CJCE, 15 mai 1997, Futura participations et Singer, aff. C-250/95, rec. p.I-2471.
[25] CJCE, 16 juillet 1998, ICI, précit. .
[26] CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, précit., point 50.
[27] CJCE, 16 juillet 1998, ICI, précit. point 26.
[28] CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, précit., point 52.
[29] Conclusions de l’Avocat général, M. Jean MISCHO, aff. C-9/02, précit., point 62.
[30] CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, précit., point 54.
[31] Conclusions de l’Avocat général, M. Jean MISCHO, aff. C-9/02, précit., point 66.
[32] CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, précit., point 63.
[33] Conclusions de l’Avocat général, M. Jean MISCHO, aff. C-9/02, précit., point 74.
[34] Conclusions de l’Avocat général, M. Jean MISCHO, aff. C-9/02, précit., point 79.
[35] CJCE, 21 septembre 1999, Saint Gobain ZN, aff. C-307/97, rec. p.I-6161.
[36] CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, précit., point 68.